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Portrait de leader

La pro du point zéro

5 mars 2009

Josée Beaudoin

Lorsque Lyne Tremblay raconte sa vie, l'image de la mer agitée s'impose bien avant celle du long fleuve tranquille. Ce qui place cette superviseure et athlète dans une classe à part, ce n'est pas le fauteuil roulant avec lequel elle se déplace, mais bien la résilience extraordinaire avec laquelle elle avance. Portrait d'une femme que l'on rencontre une heure et demie et dont on se souvient toute sa vie.

Titulaire d'un baccalauréat en génie et d'un autre en enseignement, Lyne Tremblay agit depuis quatre ans comme superviseure universitaire auprès des étudiantes et étudiants du baccalauréat en enseignement professionnel. Si la formatrice inspire le dépassement à ses étudiants, elle l'inspire également à quiconque croise sa route avec sa philosophie de vie basée sur ce qu'elle appelle «le point zéro». Dans sa vision des choses, rien ne sert de regretter le passé, impossible de contrôler l'avenir, alors savourons l'instant présent.

Grâce à la souplesse de ses horaires et à la complicité de ses collègues et employeurs, Lyne Tremblay peut conjuguer ce travail qu'elle adore à sa seconde carrière, celle d'athlète de haut niveau. Pour elle, le sport est un besoin viscéral qu'elle a d'abord assouvi par la course à pied. Après avoir parcouru la planète durant six ans pour participer aux plus prestigieux marathons, elle a dû ralentir le pas en raison de douleurs aux membres inférieurs. Pour limiter les chocs répétés qu'entraîne la course à pied, elle s'est tournée vers le vélo, une discipline où elle s'est mise à exceller rapidement.

En 1986, pour trouver la pleine mesure de ses ambitions, la cycliste s'est expatriée deux ans en Europe où elle a été sélectionnée par l'équipe de France. En 1988, elle obtenait son passeport pour les Jeux olympiques de Séoul et s'apprêtait à réaliser là le rêve de sa vie. Toutefois, quelques semaines avant l'ouverture des Jeux, ses douleurs aux jambes sont revenues la priver d'une partie de sa puissance. Puisqu'elle n'est pas femme de demi-mesures et qu'elle ne voulait pas pénaliser son équipe, notre leader a choisi de passer le flambeau à une coéquipière en se disant partie remise et en tablant sur son point zéro.

Peu de temps après, Lyne Tremblay rentrait au Québec, mais n'abandonnait pas la compétition pour autant. En 1993, de nouvelles douleurs ont amené les médecins à lui recommander de diminuer sa pratique de vélo. L'athlète l'a alors réduite des deux tiers… en se lançant dans le triathlon! Son endurance et sa détermination l'ont notamment menée jusqu'à Hawaï pour la compétition Ironman. En 1996, sa santé s'est détériorée et le diagnostic est tombé sur une maladie neurologique très rare appelée l'algoneurodystrophie réflexe.

Dans son combat, Lyne Tremblay a trouvé des alliés, dont Linda Gagnon et Rémi Bouchard, deux médecins proactifs qui au lieu de lui mettre des freins, lui ont donné des ailes. «Ils ont compris qu'avec le sport, j'allais rester en vie et continuer de me réaliser, raconte-t-elle. Ils m'ont suggéré de faire des sports de bras et j'ai commencé le kayak de mer.» Sans le savoir, elle préparait la suite des choses en développant le haut de son corps. Le 8 mars 1999, Lyne Tremblay perdait de façon définitive l'usage de ses membres inférieurs, mais ne perdait pas de vue son point zéro. «Je me suis demandé : qu'est-ce qu'il me reste? Il me reste ma passion, mon cœur, mes bras, mon intelligence, mes émotions et les gens que j'aime. J'ai bâti autour de ce que j'avais et non de ce que je n'avais plus.»

Professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé, Linda Gagnon parle de son ancienne patiente et aujourd'hui fidèle amie comme d'une battante qui met toute l'énergie nécessaire pour atteindre ses buts, mais sans jamais écraser les gens. Et ce qui ressort surtout, c'est qu'elle aime la vie par-dessus tout. «Dès le départ, j'ai vu en Lyne une personne très spéciale, dit-elle. Elle a cette faculté de rebondir, comme un chat qui a plusieurs vies.»

Après sa paralysie, l'athlète a retrouvé ses repères en remettant le sport dans son quotidien, continuant le kayak et s'initiant au vélo de bras.

La véritable révélation est toutefois survenue en 2000, par une belle journée de printemps, alors qu'elle attendait une amie au chalet de ski du mont Sainte-Anne. Un pur étranger s'est avancé vers elle en lui demandant ce qu'elle faisait. «Je regarde les skieurs et je savoure le moment, a-t-elle répondu. «Tu ne resteras pas assise là longtemps; je t'amène faire du ski», a-t-il dit. En deux temps trois mouvements, Lyne Tremblay était installée dans une espèce de carriole sur skis, en train de dévaler les pentes. «Ça a été une révélation! raconte-t-elle. J'ai réalisé que je pouvais faire tout ce que je voulais, mais d'une façon différente.»

En adoptant le ski alpin adapté, Lyne Tremblay a renoué avec la compétition de haut niveau. Après avoir manqué de peu les Jeux de Turin en 2006 en raison de blessures, elle visait Vancouver 2010 avec l'équipe de France, elle qui possède une double citoyenneté. Au printemps 2007, une série de chutes à haute vélocité lui ont fracturé des côtes. Son équipe lui a demandé de s'initier à un sport de concentration, le temps de se guérir. Embêtée, elle a choisi le tir à l'arc, une discipline dont son frère lui vantait les mérites depuis des lunes. «Je vais tirer quelques flèches durant l'été et tout le monde va être content!» se disait-elle avant de se faire prendre au jeu. Un mois après avoir tiré sa première flèche, l'archère remportait le titre de championne canadienne et la skieuse accrochait ses planches.

«Je suis très fière parce que, généralement, une personne qui commence va mettre deux ans avant d'être capable de lancer une flèche à 70 mètres, et on parle ici d'une personne sans handicap», explique Lyne Tremblay. Au coeur de la cible, elle a trouvé la représentation concrète de son point zéro. «Les plus grands tireurs sont des gens qui vivent le moment présent, dit-elle. Si la flèche que tu viens de tirer n'est pas bonne, tu ne peux pas te permettre de chercher l'erreur et d'anticiper la prochaine. C'est la flèche que tu tires maintenant qui est importante. Je travaillais ce principe dans ma tête depuis tellement d'années; tout ce que j'ai eu à faire, ça a été de rajouter l'arc!»

En août dernier, Lyne Tremblay entrait dans le stade de Beijing et réalisait son rêve olympique, 20 ans après son rendez-vous manqué à Séoul. Ses résultats sont ici très secondaires. À Beijing, Lyne Tremblay a savouré sa victoire, celle d'être là. Sa participation lui a aussi valu le privilège d'être choisie parmi les membres du Programme RBC, ce qui lui permet de s'entraîner six heures par jour, six jours semaine, en ayant un répit côté financier.

La façon normale de terminer cet article serait de lui souhaiter bonne chance pour les championnats du monde qui auront lieu à Prague à la fin de l'été et où elle vise très réalistement la première place. Toutefois, comme la pro du point zéro a beaucoup d'instants à savourer d'ici là, terminons en lui souhaitant simplement qu'aujourd'hui soit la plus belle journée qui soit.

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